Propos recueillis pas Pascal Archimède. Baptisé à l’origine #MaisLisMesMots, #BlackLivresMatter est un club de lecture qui a comme vocation de mettre en avant les auteur(e)s Noir(e)s en rendant leurs ouvrages accessibles au plus grand nombre. Pour en parler, Nofi a rencontré July, la fondatrice de ce concept. Elle est revenue sur son parcours, sa passion pour les livres, les raisons qui l’ont poussée à lancer cette initiative et nous a expliqué comment se déroule une rencontre « type ».
#BlackLivresMatter, le club de lecture qui valorise la littérature Noire
Bonjour July, parle nous de ton parcours
Hello Pascal, alors commençons par un scoop : je m’appelle « July » (prononcé Julaye) mais genre vraiment vraiment (Rires). Née en Guadeloupe il y a bientôt 36 ans, je l’ai quittée après les classes prépa pour intégrer une école d’ingénieur. Mon voyage hexagonal a donc commencé par le Nord de la France dans le Pas de Calais où j’ai terminé mes études. J’ai ensuite pris la direction du Sud pour m’installer à Grenoble où j’ai programmé des robots utilisés pour la recherche au CNRS. J’ai ensuite découvert la ville magique, Paris, où j’ai travaillé presque 10 ans sur des projets nucléaires à EDF. En 2018, j’ai envie du fameux « out of comfort zone » et m’envole pour New York. Pendant que j’y vis ma « best life » (en me disant tout de même que le froid est vraiment froid), je trouve par hasard un poste à VINCI en Guadeloupe où j’ai aujourd’hui posé mes valises.
D’où te vient cette passion pour la lecture ?
À vrai dire, j’ignore l’origine exacte de cet attrait pour la lecture mais une chose est sûre, c’est qu’il ne me vient pas de mon programme scolaire ! Si la passion des mots était génétique, elle me viendrait certainement de ma mère que je n’ai cessé de voir feuilleter des pages dans ma jeunesse … Autrement, je crois que cette passion naît d’un déclic. Pour ma part, ça a été « No Home » de Yaa Gyasi et « Zaïre et Théophile » d’ Imaniyé Dalila Daniel. Deux chefs d’œuvres qui m’ont permis de sortir un peu de mon parcours scientifique et qui m’ont motivée à promouvoir la littérature noire.
Qu’est ce que #MaisLisMesMots ? Qu’est ce qui t’a poussée à lancer cette initiative ? Depuis combien de temps ce groupe de lecture existe-il ? À quelle fréquence vous rencontrez vous ?
#MaisLisMesMots c’était le résultat d’une de mes frustrations une fois rentrée au pays : lire, lire, lire, se faire « chawayer » (bercer) par les auteurs mais ne pas pouvoir échanger sur ces voyages littéraires comme je le faisais avec mes copines du « Book n brunch » à Paris. Mais c’était aussi et avant tout l’envie de faire savoir que la littérature noire vaut le détour. Comme je le mentionnais précédemment, je n’ai pas eu la chance de pouvoir lire à l’école des œuvres dans lesquelles j’étais en mesure de me projeter. Ma mère n’avait pas de château et Jean de La Fontaine ne parlait jamais de mabouya (lézards) dans ses fables.
L’idée du club existe dans ma tête depuis 2019. La première session a vu le jour le 29 février 2020 avec un bouquin dont le thème du retour d’Exil collait à la perfection avec ce que je ressentais après ce long périple ‘forcé’ (mais bienvenu) hors de mes eaux. Ajouté à cela, le choix du bouquin de lancement est intimement lié au fait que je sois éperdument amoureuse de la plume de Dany Laferrière.
Pour le moment, le club se retrouve tous les derniers Samedi de chaque mois, dans un des lieux les plus sympas que je connaisse ici : le Café Papier.
Comment se « déroule » une « rencontre » type ?
Une rencontre type commence par un travail de préparation en amont.
Etape 1 : Le choix du bouquin et la prise de contact avec les auteurs quand cela est réalisable. Je crois que cette étape est la plus contraignante. Ici, c’est un vrai parcours du combattant : le choix reste malgré tout limité et il n’est pas simple de se fournir en quantité suffisante. En général, le livre est choisi en lien avec des thématiques de l’actualité : Mai = commémoration/ abolitions, Juin = fête de la musique, Juillet = période de vacances…. Le livre est annoncé 1 mois à l’avance afin de laisser le temps aux participants de lire l’œuvre avant la rencontre.
Etape 2 : Le travail de « community manager », les inscriptions à l’événement…. En général, dans ma communication, j’essaie toujours de mettre d’autres références de bouquins, chansons, films… liées à la thématique choisie.
À l’issue, a lieu la rencontre où l’auteur commence par décrire brièvement son parcours quand il est présent. S’en suit une série de questions liées au bouquin qui lancent ainsi la discussion avec les participants qui ont lu (ou non) l’ouvrage. J’insiste sur le « ou non », car il arrive que des personnes assistent au club sans avoir pris connaissance du livre et sans pour autant être larguées. Elles repartent d’ailleurs souvent avec l’idée de se procurer au plus vite un exemplaire. La rencontre se conclut par le mot de la fin où chaque participant est invité à dire UN mot qui résume ce que le bouquin ou la rencontre lui a inspiré.
Quels auteurs as tu déjà invité ? Qu’ est ce qui t’a poussé à sélectionner ces auteurs plutôt que d’autres ?
J’ai tenté de rentrer en contact avec pas mal d’auteurs mais l’invitation ne suffit pas, l’acceptation fait le tout ! Pour l’instant, seuls des auteurs de la Caraïbe ont répondu présents. Quand ils participent, le club prend en effet une toute autre dimension. Je me souviens de nos débats confinés avec Steve Gadet (Fola) et Imaniyé Dalila Daniel, de nos échanges déconfinés avec Gisèle Pineau. La volonté du club est aussi de donner un coup de pouce aux primo-écrivains afin qu’ils se fassent connaître. Nous avons eu la chance de t’avoir à distance lors de la session du mois de Juin (encore merci), mais aussi d’accueillir Georges Rigah et Sylvio Pensedent-Erblon. Je n’oublie pas Dimitry Zandronis qui a pu nous parler de Maryse Condé comme si elle y était. La raison de ces choix d’auteurs ? Disons que certains noms font aujourd’hui partie des monuments de la littérature afro-caribéenne, pour les autres, espérons simplement que cette invitation au club marque le début d’une belle carrière.
En n’ invitant que des auteurs Afro et Afro- Caribéens, ne crains-tu pas d’être taxé de « communautaire/communautariste » ?
Dieu merci Monsieur Dzellat, fondateur de NOFI (Noir et Fier) ne s’est pas arrêté à cette crainte ! Nul n’a la capacité d’empêcher certains de se faire un avis sur les actions menées par d’autres. Valoriser des artistes noirs auxquels je n’ai pas eu accès plus jeune n’inversera certainement pas la balance. Par contre, si cela permettait juste de la rééquilibrer, j’en serais déjà ravie.
Quels retours as-tu du public qui assiste à ces rencontres ?
Déjà à ma grande surprise, il y a un public ! (Rires). En me lançant ici, j’avais un gros à priori en pensant que les gens n’aiment pas lire mais aussi parce que lire peut coûter cher, particulièrement en Guadeloupe où les taxes augmentent parfois les tarifs. Deuxième surprise, le public est super varié : des hommes / des femmes/ des jeunes / des plus sages (rires), des résidents de toujours / des anciens exilés comme moi, des noirs / des blancs. Les retours sont plutôt positifs pour l’instant mais je sais que l’organisation reste perfectible afin de s’adapter aux évolutions actuelles.
Comment t’es tu organisée avec le Covid-19 ?
Ce (cette) virus (on en perdrait presque notre français) nous a permis de nous adapter. En effet, crise sanitaire oblige, nous avons eu le plaisir de poursuivre les rencontres en format e-club via Zoom. L’engouement est resté le même. D’ailleurs, le confinement semble avoir été un moteur pour que les personnes se mettent à la lecture.
Comment envisages- tu la suite?
La suite je l’envisage déjà en rebaptisant le concept : #BlackLivresMatter. J’avais besoin d’un nom qui parle de lui même et c’est ainsi que j’ai découvert qu’avec un air (r) tout s’éclaire (Rires). J’envisage de doubler les rencontres car certains de mes fidèles clubbers ne sont pas comblés avec une seule rencontre mensuelle.
As-tu des projets à venir?
Mon dernier projet en cours est la mise en place d’un club de lecture pour nos adultes en devenir, autrement dit les enfants. Aussi, j’espère perpétuer le concept « Ba’y la vwa » dont l’objectif est de laisser la parole à des amateurs de slam, poème et tout autre art mêlant les mots.
Pour finir, je suis heureuse de pouvoir vous communiquer les pages que j’ai pris trois plombes à créer (Rires).