Nofi vous propose de découvrir les côtés obscurs des philosophes des Lumières, de Voltaire à Rousseau, et comment leurs écrits ont contribué à la pensée raciste.
Les Lumières obscurcies par l’ombre du racisme
Les philosophes des Lumières, ces grands esprits qui ont éclairé l’humanité avec leurs idées progressistes et leurs appels à la raison, à la liberté et à l’égalité, sont souvent vénérés comme les champions des droits de l’homme. Mais derrière cette brillante façade se cache une réalité beaucoup moins reluisante : certains de ces mêmes penseurs qui ont prôné la dignité humaine et la tolérance étaient, ironiquement, de fervents partisans de théories racistes.
Imaginez, si vous le voulez bien, Voltaire, l’auteur de nombreux traités sur la tolérance, écrivant des descriptions dégradantes des Africains. Ou encore Immanuel Kant, célèbre pour sa philosophie morale, hiérarchisant les races humaines avec les Européens au sommet. On pourrait presque en rire, si ce n’était pas si tragiquement négrophobe…
Ainsi, nofi plonge dans l’histoire quelque peu embarrassante de ces vénérables penseurs. Découvrez comment les penseurs des Lumières ont contribué, intentionnellement ou non, à l’ombre persistante du racisme.
1. Voltaire (1694-1778)
Voltaire, l’un des philosophes les plus célèbres des Lumières, est connu pour ses écrits sur la liberté, la tolérance et la raison. Cependant, ses œuvres contiennent des propos explicitement racistes. Dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Voltaire décrit les Africains comme inférieurs et utilise des stéréotypes négatifs pour justifier leur asservissement. Ses écrits reflètent les préjugés de son époque, mais ils contrastent fortement avec ses appels à la tolérance et aux droits humains universels.
« Des différentes races d’hommes
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Tome 1, pages 6 à 8, 1805 (Imprimerie Didot)
Ce qui est plus intéressant pour nous, c’est la différence sensible des espèces d’hommes qui peuplent les quatre parties connues de notre monde.
Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lappons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes.
Il n’y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n’ait vu une partie du reticulum mucosum d’un Nègre disséqué par le célèbre Ruysch. Tout le reste de cette membrane fut transporté par Pierre-le-Grand dans le cabinet des raretés, à Petersbourg. Cette membrane est noire, et c’est elle qui communique aux Nègres cette noirceur inhérente qu’ils ne perdent que dans les maladies qui peuvent déchirer ce tissu, et permettre à la graisse, échappée de ses cellules, de faire des tâches blanches sous la peau.
Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu’ils ne doivent point cette différence à leur climat, c’est que des nègres et des négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu’une race bâtarde d’un noir et d’une blanche, ou d’un blanc et d’une noire.
Les Albinos sont, à la vérité, une nation très petite et très rare ; ils habitent au milieu de l’Afrique : leur faiblesse ne leur permet guère de s’écarter des cavernes où ils demeurent ; Cependant les Nègres en attrapent quelquefois, et nous les achetons d’eux par curiosité. Prétendre que ce sont des Nègres nains, dont une espèce de lèpre a blanchi la peau, c’est comme si l’on disait que les noirs eux-mêmes sont des blancs que la lèpre a noircis. Un Albinos ne ressemble pas plus à un Nègre de Guinée qu’à un Anglais ou à un Espagnol. Leur blancheur n’est pas la nôtre : rien d’incarnat, nul mélange de blanc et de brun ; c’est une couleur de linge ou plutôt de cire blanchie ; leurs cheveux, leurs sourcils, sont de la plus belle et de la plus douce soie ; leurs yeux ne ressemblent en rien à ceux des autres hommes, mais ils approchent beaucoup des yeux de perdrix. Ils ressemblent aux Lappons par la taille, à aucune nation par la tête, puisqu’ils ont une autre chevelure, d’autres yeux, d’autres oreilles; et ils n’ont d’homme que la stature du corps, avec la faculté de la parole et de la pensée dans un degré très éloigné du nôtre. Tels sont ceux que j’ai vus et examinés. »
2. Immanuel Kant (1724-1804)
Immanuel Kant, célèbre pour sa philosophie morale et sa théorie de l’impératif catégorique, a également tenu des propos racistes. Dans son essai Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Kant classe les races humaines en termes de hiérarchie morale et intellectuelle, plaçant les Européens au sommet et les Africains au bas de cette échelle. Ses théories sur les races humaines ont influencé les pensées racistes de l’époque et ont eu des répercussions durables.
« Dans les pays chaudsles hommes mûrissent plus vite à tous égards, mais ils n’atteignent pas la perfection des zones tempérées. L’humanité atteint la plus grande perfection dans la race des Blancs. Les Indiens jaunes ont déjà moins de talent. Les Nègres sont situés bien plus bas.«
La couleur de la raison: l’idée de «race» dans l’anthropologie de Kant
3. David Hume (1711-1776)
David Hume, philosophe écossais renommé pour ses contributions à l’empirisme et à la philosophie sceptique, a également exprimé des opinions racistes. Dans son essai Of National Characters, Hume affirme que les Noirs sont naturellement inférieurs aux Blancs en termes d’intelligence et de capacités. Il soutient que cette supposée infériorité justifie leur traitement discriminatoire et leur asservissement, des idées qui ont été utilisées pour légitimer le racisme scientifique.
« J’ai tendance à penser que les Nègres sont naturellement inférieurs aux Blancs. Il n’y a pratiquement jamais eu de nation civilisée de cette couleur, ni même d’individu éminent dans l’action ou la spéculation… »
David Hume, « Of National Characters », 1777 (version révisée d’un essai publié pour la première fois en 1748)
4. Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831)
Georg Hegel, connu pour sa philosophie de l’histoire et sa dialectique, a également eu des vues racistes. Dans ses Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel affirme que l’Afrique n’a pas d’histoire propre et que ses habitants sont restés en marge du développement historique mondial. Il décrit les Africains comme stagnants et primitifs, justifiant ainsi leur exploitation par les Européens comme une forme de progrès.
« Ce qui détermine le caractère des nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible d’aucun développement, d’aucune éducation(…). Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. »
5. Montesquieu (1689-1755)
Montesquieu, auteur de L’Esprit des lois, est célèbre pour sa théorie de la séparation des pouvoirs. Cependant, dans cet ouvrage même, il justifie l’esclavage des Africains. Il propose que l’esclavage est approprié pour les climats chauds où, selon lui, les gens sont moins industrieux. Cette justification pseudo-scientifique a été utilisée pour rationaliser l’esclavage dans les colonies européennes.
« De l’esclavage des Nègres
Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une manière plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
Des petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains : car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.«
6. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Bien que Jean-Jacques Rousseau soit souvent loué pour ses idées sur la liberté et l’égalité, ses écrits contiennent également des éléments racistes. Dans son Essai sur l’origine des langues, Rousseau parle des Africains en termes péjoratifs, les décrivant comme moins civilisés. Il présente également des idées hiérarchiques sur les races qui sont en contradiction avec ses théories sur l’égalité et la justice sociale.
« On ne peut jamais former une idée de ce que c’est que la volupté dans les climats froids, ni dans ceux où la nature est avare de ses dons. Un Hottentot ne saurait être voluptueux; un Hollandais, fût-il aussi riche qu’il voudrait, ne le sera jamais que d’imagination. »
Conclusion
Bien que les philosophes des Lumières soient souvent célébrés pour leurs contributions à la pensée moderne et aux droits humains, il est important de reconnaître les aspects racistes de leurs écrits. Leurs idées ont non seulement influencé positivement la philosophie et la politique, mais elles ont également contribué à légitimer le racisme et l’oppression. En reconnaissant ces aspects, nous pouvons mieux comprendre l’héritage complexe de ces penseurs et continuer à progresser vers une société plus équitable et juste.