Les rites et coutumes qui façonnent la vie aux Antilles

par Mathieu N'DIAYE

Dans cette troisième partie de notre exploration des survivances africaines dans la culture antillaise, nous plongeons au cĹ“ur des pratiques et coutumes qui marquent les grands moments de la vie. InspirĂ© par l’essai “Survivances africaines” de Huguette Bellemare, publiĂ© dans Historial antillais. Tome I. Guadeloupe et Martinique. Des Ă®les aux hommes (1981), cet article examine comment l’hĂ©ritage africain continue de teinter les rites liĂ©s Ă  la naissance, la première communion et la mort aux Antilles. Ă€ travers cette analyse, nous dĂ©couvrons comment ces traditions se sont adaptĂ©es et ont persistĂ© dans le contexte antillais, formant ainsi une culture unique et profondĂ©ment enracinĂ©e dans l’histoire africaine.

De nombreux rites marquent les grands moments de la vie. LĂ  encore, la discussion pour savoir d’ou ils sont originaires est très âpre. Cependant, dans ce domaine, les apports des deux cultures paysannes traditionnelles – africaine et europĂ©enne – n’ont pu que s’ajouter pour constituer la culture rurale traditionnelle des Antilles. Nous allons cependant essayer de montrer ce que nous croyons devoir tout particulièrement Ă  l’Afrique dans ce domaine – ou encore plus simplement, la « coloration africaine Â» de certaines coutumes.

La naissance

Les rites et coutumes qui façonnent la vie aux Antilles

Certaines croyances et pratiques qui entourent la naissance ont leur source en Afrique. En particulier, celles relatives aux arbres : elles sont basĂ©es sur un raisonnement analogique très clair. 

Une femme enceinte peut communiquer sa fĂ©conditĂ© aux arbres fruitiers en les plantant ou, s’ils sont dĂ©jĂ  plantĂ©s, en les ferrant (en y enfonçant un clou). 

Une femme enceinte ou allaitant ne doit pas couper un arbre fruitier. 

Le placenta et le nombril d’un nouveau nĂ© peuvent ĂŞtre enterrĂ©s au pied d’un arbre qui lui communiquera sa vigueur et sa longĂ©vitĂ©. 

Mais la grande affaire, aux Antilles comme en Afrique, c’est le nom. 

En Afrique Occidentale, il est de coutume de donner aux enfants des noms liĂ©s Ă  leur date de naissance (on leur donne parfois le nom du jour de leur naissance), aux conditions qui ont entourĂ© cette naissance, au caractère ou Ă  l’aspect de l’enfant. 

Dans la Martinique rurale, cette coutume s’est maintenue dans la mesure oĂą l’a permis le contrĂ´le des autoritĂ©s de l’État-civil. 

En effet, on a longtemps appelĂ© le premier enfant : Mon premier ou Alfa, le dernier (ou celui qu’on souhaite le dernier) Ultima ou CĂ©tou ; l’enfant particulièrement dĂ©sirĂ© MongrĂ© ou… DĂ©sirĂ©(e), tout simplement ! On appelle Chimène celui qui est nĂ© sur le chemin. Les enfants portent souvent le nom du Saint du jour de leur naissance, d’oĂą la confusion qui explique certains prĂ©noms : FĂŞt-nat pour un enfant nĂ© le 14 juillet ou Circoncis pour un nĂ© le 1er Janvier, Gloria pour celui nĂ© le samedi de la semaine sainte…      

« (En Afrique) l’identification d’un nom « rĂ©el Â» avec la personnalitĂ© de celui qui le porte est tenue pour si totale que ce nom « rĂ©el Â», habituellement donnĂ© Ă  la naissance par un parent (mais) non par n’importe lequel, doit ĂŞtre gardĂ© secret de peur qu’il ne vienne Ă  ĂŞtre connu d’une personne susceptible de l’utiliser dans des pratiques magiques malfaisantes dirigĂ©es contre le porteur du nom Â». 

Melville Herskovits, L’hĂ©ritage du Noir, Mythe et rĂ©alitĂ©, PrĂ©sence Africaine, Paris, 1962.

En Martinique, on ne prononce pas le prĂ©nom de quelqu’un de peur que les puissances du mal ne s’en emparent. D’ailleurs, prononcer le nom de quelqu’un, c’est dĂ©jĂ  s’octroyer un certain pouvoir sur cette personne ainsi que le montre ce dialogue extrait d’un roman antillais :      

– « Emmanuel, Joseph, Maurice, tu es malin comme un rat… tu vas voir ce qui va t’arriver !      

– Tonnerre de Dieu, est-ce toi qui m’as portĂ© au baptĂŞme pour rĂ©pĂ©ter mes prĂ©noms Ă  chaque instant ?1. Ceci nous amène Ă  penser que s’il y a tant de surnoms en Martinique, c’est pour tenir secret le vĂ©ritable prĂ©nom2. Nous avons eu nous-mĂŞme une proche parente de notre gĂ©nĂ©ration dont le prĂ©nom fut tenu cachĂ© jusqu’à son adolescence. Il nous est arrive Ă©galement de demander Ă  une paysanne le prĂ©nom de son bĂ©bĂ© et de nous entendre rĂ©pondre : « Ipas ni non Â» ce qui se traduit textuellement par « il n’a pas de nom Â», mais qui signifie en rĂ©alitĂ© que l’enfant n’étant pas encore baptisĂ©, on ne prononce pas son prĂ©nom de peur que le Diable ne s’en empare. 

La croyance que le nom d’un individu participe de sa personnalitĂ© et de sa puissance explique qu’on donne parfois pour prĂ©nom Ă  des enfants le nom de personnages prestigieux dont on admire la puissance. Ainsi peut-on trouver dans les campagnes antillaises (comme en Afrique) des enfants se prĂ©nommant : De Gaulle, Staline ou NapolĂ©on… 

De nombreuses coutumes concernant la naissance ou la petite enfance se retrouvent aux Antilles et en Afrique. 

En Martinique, comme en Afrique, on fait le tour de la maison avec le bĂ©bĂ© quelques jours après la naissance, pour lui prĂ©senter les lieux oĂą il va vivre. 

En Afrique et chez les Noirs des USA, on « vend Â» un enfant de chĂ©tive santĂ© pour Ă©loigner de lui le mauvais sort et le sauver. En Martinique, dans la mĂŞme situation, on « consacre Â» l’enfant Ă  la Vierge ou Ă  un Saint dont il portera la couleur (Ă  l’exclusion de toute autre). Ici, la coutume africaine s’est peut-ĂŞtre « coulĂ©e dans un moule chrĂ©tien Â» pour survivre. 

En Afrique et aux USA, lorsqu’un enfant tarde Ă  marcher, on l’enterre nu jusqu’à la ceinture ; en Martinique, on l’enterre dans du sable s’il a les jambes cambrĂ©es…

La première communion

Les rites et coutumes qui façonnent la vie aux Antilles

Ce titre peut sembler Ă©tonnant dans une Ă©tude consacrĂ©e aux « survivances africaines Â» dans les cultures antillaises. Cependant on peut dire de la première communion ce que Bastide a dit des grandes fĂŞtes catholiques : les Noirs l’ont acceptĂ©e comme une « niche secrète pour y cĂ©lĂ©brer leurs fĂŞtes Â». 

En effet, la première communion aux Antilles catholiques est l’occasion d’un faste et, plus concrètement, de dĂ©penses extraordinaires. Les communiants -les jeunes filles surtout- rivalisent d’élĂ©gance et de beautĂ© ; enfin, cette fĂŞte est l’occasion de vĂ©ritables bombances oĂą la parentĂ© la plus Ă©loignĂ©e, et mĂŞme les plus simples voisins, sont conviĂ©s. 

Cet aspect profane de la fĂŞte se dĂ©veloppait Ă  tel point que les autoritĂ©s religieuses ont dĂ» intervenir pour limiter tout particulièrement le luxe, parfois tapageur, des toilettes… 

Pourquoi cette importance donnĂ©e Ă  ce sacrement ? 

C’est que la première communion « remplace les anciens rites de pubertĂ© des esclaves et des sauvages Â» (E. Revert) interdits par la colonisation et l’esclavage, ces rites qui marquent « l’accession Ă  la plĂ©nitude de l’être, l’entrĂ©e dans la sociĂ©tĂ© Â» (J. Corzani). 

Pour la jeune fille des milieux dĂ©favorisĂ©s surtout, qui a fort peu de chance de se marier Ă  l’Église, le sacrement de première communion prend une importance particulière comme rite de passage et d’initiation. 

Mayotte CapĂ©cia illustre tout cela fort bien dans son roman : Je suis Martiniquaise. 

« Enfin, ma mère ouvrit la porte. Je poussai un cri de surprise. Ma chambre qui, jusque lĂ  avait Ă©tĂ© semblable Ă  une chambre de garçon, Ă©tait devenue une chambre de jeune fille. Le lit avait Ă©tĂ© recouvert d’une belle Ă©toffe et, dans un coin, je vis une Ă©tagère sur laquelle se tenait une statue de la Vierge avec, devant elle, une veilleuse Ă  huile que je devais, je le savais, entretenir afin qu’elle restât allumĂ©e nuit et jour. 

C’était un autel comme celui qui se trouvait dans la chambre de mes parents, comme ceux que possĂ©daient toutes les personnes raisonnables Â». 

La première communion permet donc le passage de la petite fille Ă  la fois dans le monde des adultes et celui des femmes. 

Un autre roman, le Temps des Madras, confirme encore cette interprĂ©tation cette fois sur le mode comique : 

« Elle n’a pas fait sa première communion et elle chante la romance ! C’est la fin du monde ! Â» 

Mais cette rĂ©interprĂ©tation paĂŻenne de la première communion est-elle si Ă©loignĂ©e de sa signification catholique ? Si les esclaves ont pu assimiler rites d’initiation et première communion, c’est qu’ils prĂ©sentaient des similitudes remarquables (âge des intĂ©ressĂ©s -entre 9 et 12 ans-, retraite, jeĂ»ne dans les deux cĂ©rĂ©monies…). Nous voyons donc ici un des cas (signalĂ©s par Herskovits) oĂą des similitudes entre deux Ă©lĂ©ments de deux cultures permettent le renforcement de ces Ă©lĂ©ments.

La mort

Les rites et coutumes qui façonnent la vie aux Antilles

Les croyances et coutumes au sujet de la mort sont extrĂŞmement nombreuses aux Antilles et -encore une fois- il est difficile de dĂ©mĂŞler dans ce foisonnement la part qui revient Ă  chacune des cultures rurales qui ont participĂ© Ă  la formation de la culture antillaise (culture europĂ©enne, culture africaine et –à moindre degrĂ© – culture amĂ©rindienne). 

Comme nous avons procĂ©dĂ© pour la naissance, nous essayerons donc de dĂ©gager les idĂ©es principales autour desquelles s’organisent les pratiques africaines et antillaises de la mort : la mort est le moment le plus important de la vie, c’est pour cela qu’elle doit ĂŞtre entourĂ©e de faste prĂ©parĂ©s longtemps Ă  l’avance. Cependant, elle n’est pas irrĂ©versible, d’oĂą une grande familiaritĂ© avec la mort, mais aussi un risque : le mort peut refuser de s’en aller ou saisir la moindre occasion de revenir, aussi faut-il tâcher de l’amadouer par toutes sortes d’attention. 

Dans toutes les sociĂ©tĂ©s noires, les funĂ©railles ont une grande importance… Aussi, les rites qui suivent la mort aux Antilles sont particulièrement 

nombreux et particulièrement bien observĂ©s : en Martinique, par exemple, après la toilette du mort, celui-ci sera exposĂ© dans ses vĂŞtements les plus beaux. Ensuite, la mort est annoncĂ©e Ă  la parentĂ© et au voisinage. Autrefois, en l’absence de tĂ©lĂ©phone, l’annonce se faisait en soufflant de manière rituelle des « coups de corne Â» dans une conque de lambi. 

Après la veillĂ©e, qui dure jusqu’à l’aurore3, c’est l’enterrement qui rassemble une foule de parents et d’amis, venus mĂŞme de très loin, toute affaire cessante. Au cimetière après une oraison funèbre oĂą est prononcĂ© un vĂ©ritable dithyrambe du mort, c’est l’inhumation. Lorsque la famille en a les moyens, elle possède un splendide caveau, mais mĂŞme si elle n’a qu’une modeste fosse, celle-ci sera toujours pieusement entretenue. 

La stricte observance de tous ces rites est tellement importante que tout sera fait, prĂ©vu, pour qu’ils soient respectĂ©s. Ainsi, l’oraison funèbre pourra ĂŞtre composĂ©e Ă  l’avance, dès que le malade se trouve Ă  l’agonie. Mais, qui mieux est, il est commun Ă  la campagne que l’individu mĂŞme prĂ©pare sa propre cĂ©rĂ©monie funèbre : il se fera faire son cercueil Ă  l’avance ou, en tous les cas, achètera et conservera les planches qui serviront Ă  le confectionner, il achètera Ă©galement une dame-jeanne de bon rhum et un paquet de cafĂ© en grains pour sa veillĂ©e. Si c’est une femme, elle se fera confectionner, en plus, la robe dans laquelle elle veut ĂŞtre « exposĂ©e Â» et achètera le drap neuf qui doit lui servir de linceul. 

Si la mort et les morts sont si proches, c’est que la mort n’est pas la fin de la vie, elle n’est qu’un passage ; les dĂ©funts vivent d’une autre vie et peuvent d’ailleurs intervenir – bĂ©nĂ©fiquement ou malĂ©fiquement4 â€“ dans la vie de leurs descendants. C’est pourquoi il faut leur faire un enterrement convenable et les honorer (d’oĂą le culte des ancĂŞtres dont nous parlerons plus loin). 

Mais cette proximitĂ© des morts, si elle a un effet bĂ©nĂ©fique sur la communautĂ© dont elle assure l’unitĂ© et la stabilitĂ© ne laisse pas d’être ambiguĂ« : en effet, si les dĂ©funts continuent de vivre tout près de nous, ils peuvent revenir quand ils veulent dans le monde des vivants et ils peuvent, d’abord, refuser de le quitter Ă  leur mort. D’oĂą toute une sĂ©rie de pratiques qui ont pour but, Ă  la mort, de faire partir l’esprit du dĂ©funt et ensuite de ne le laisser revenir qu’à certaines occasions, rituelles. 

Par exemple, on met au mort des chaussettes neuves, encore attachĂ©es ensemble, dans le but, certainement de lui lier les pieds et de le faire tenir tranquille. 

On lui met, sur la poitrine, une assiette contenant de l’eau bĂ©nite et une touffe de pied de poule (graminĂ©e) arrachĂ©e avec une Ă©norme motte de terre dans le but avouĂ© d’empĂŞcher son ventre de gonfler, mais peut-ĂŞtre pour s’assurer de son immobilitĂ©. 

Dans les mornes5, le corps devait ĂŞtre transportĂ© Ă  dos d’hommes, dans un brancard. Les porteurs bondissaient pour sortir de la maison mortuaire vraisemblablement pour vaincre la rĂ©sistance du mort qui refuse de quitter les lieux oĂą il a vĂ©cu. 

Une fois le corps emmenĂ©, on lance Ă  toutes volĂ©es l’eau qui avait servi Ă  faire la toilette mortuaire et qui avait Ă©tĂ© conservĂ©e jusque lĂ  sous le lit d’exposition. 

Le corps est donc transportĂ© jusqu’au bourg voisin. Juste avant l’arrivĂ©e au bourg, sur le dernier pont, a lieu une extraordinaire cĂ©rĂ©monie : Sous la direction du « conducteur du corps Â», les porteurs s’arrĂŞtent puis font trois pas avant, trois pas en arrière et cela trois fois de suite avant de bondir encore une fois sur le corps. Cette danse du corps a certainement pour fonction de tromper le mort (de l’« Ă©garer Â») et de vaincre ses dernières rĂ©sistances Ă  s’en aller. 

Enfin, une fois arrivĂ©s au bourg, les porteurs dĂ©posent le corps sur le « reposoir Â» puis, placĂ© en face de lui, chacun fait le geste de s’étirer et, en se passant la main sur tout le corps, de lui rejeter la fatigue, les crampes contractĂ©es pendant le voyage. En rĂ©alitĂ©, il s’agit lĂ , vraisemblablement, d’un rite de protection. On renvoie au mort les souillures attachĂ©es Ă  son contact. 

En effet, et c’est encore un des Ă©lĂ©ments de la signification ambiguĂ« des soins dont on entoure les dĂ©funts, on croit communĂ©ment Ă  « une sorte de contagion de la mort Â» (Revert). Ă€ dĂ©faut de pouvoir rester parmi les vivants, le mort essaiera d’en entraĂ®ner avec lui. Son contact est donc dangereux -cela explique les facĂ©ties des porteurs qui essaient de se donner les uns les autres des « coups de corps Â», d’oĂą la prĂ©sence parmi eux du « conducteur de corps Â» qui les surveille, fouet en main. Enfin, au cimetière, lorsque l’inhumation a lieu dans une fosse, chacun doit jeter une motte de terre sur le cercueil, certainement dans le mĂŞme but, empĂŞcher le mort de venir l’emporter. 

En effet, pendant huit jours, des prières sont dites autour du lit funèbre « sur lequel une petite lampe Ă  huile reste allumĂ©e huit jours et huit nuits Â» (Revert). Le neuvième jour, est organisĂ©e dans la maison du mort une cĂ©rĂ©monie analogue Ă  la veillĂ©e mortuaire : les femmes autour du lit funèbre prient et chantent des cantiques, les hommes, dehors ou dans la salle (de sĂ©jour), boivent. Ensuite (Ă  l’aube ?) on Ă©teint la lampe, on dĂ©fait le lit, on fait dire une messe Ă  laquelle il est admis que le mort assiste (messe de sortie). 

L’esprit du mort s’en va alors dĂ©finitivement et ne reviendra plus qu’à des occasions bien prĂ©cises, ses descendants peuvent donc reprendre leur vie de tous les jours, l’âme tranquille -si du moins toutes les prescriptions ont Ă©tĂ© correctement observĂ©es. 

En effet, on pense gĂ©nĂ©ralement qu’un mort mĂ©content de ses hĂ©ritiers ou des circonstances de sa mort peut revenir se venger. Aussi, on s’efforce d’exaucer les vĹ“ux qu’il a exprimĂ©s de son vivant. On fait dire des messes spĂ©ciales pour pacifier l’âme de ceux qui sont morts dans des circonstances atroces des suicidĂ©s, par exemple. 

C’est certainement cette crainte de la vindicte du mort qui explique la pratique du charivari ou chalbari. Lorsqu’un veuf ou une veuve se remarie, la nouvelle est annoncĂ©e au son de la corne de lambi, et depuis la publication des bancs jusqu’au jour de son mariage, chaque soir, les gens de son quartier et des quartiers avoisinants se rassemblent autour de sa maison et ce sont des moqueries et un vacarme Ă©pouvantable rĂ©alisĂ© Ă  l’aide de morceaux de chaudrons et de mĂ©tal. Le jour du mariage, ce mĂŞme orchestre accompagne les Ă©poux Ă  la mairie, Ă  l’église puis chez eux.       

« On a… perdu de vue, nous dit Revert, la valeur protectrice, Ă  l’origine, de telles manifestations, pour n’y plus voir qu’une occasion de moquerie et d’amusement Â».

Revert, Magie Antillaise, p. 35. Pour la description de cette fĂŞte des morts qui est aussi fĂŞte de la vie, voir Diab’la de Zobel, pp. 140-150.

Aux Antilles, la Toussaint est un moment important du culte rendu aux morts. Elle est prĂ©parĂ©e longtemps Ă  l’avance : on vient dans le cimetière nettoyer et repeindre les tombes, desherber les fosses, on demande aux enfants (contre rĂ©tribution) d’aller chercher du sable fin qu’on rĂ©pandra sur les fosses, et de refaire les inscriptions effacĂ©es depuis l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Puis le soir du 1er et du 2 novembre, c’est l’illumination : on allume des milliers et des milliers de bougies sur les tombes.       

« Les familles sont lĂ , près de leurs disparus. On vient leur serrer la main et s’entretenir un peu avec elles. C’est un dĂ©filĂ© ininterrompu tandis qu’au dehors se dĂ©roule, mais singulièrement amplifiĂ©e, la mĂŞme fĂŞte bruyante qu’aux veillĂ©es Â». 

Revert, Magie Antillaise, p. 31.

Revert nous donne la signification de ces fĂŞtes :      

« Il est explicitement admis que les âmes des trĂ©passĂ©s reçoivent, alors, la permission de revenir voir le dĂ©cor terrestre et de passer quelques heures, de minuit Ă  minuit, dans l’intimitĂ© des leurs Â». 

Certaines personnes illuminent Ă©galement de bougies les alentours de leurs maisons pour permettre Ă  « leurs Â» morts de retrouver le chemin des lieux oĂą ils vĂ©curent. Il est tellement admis que les morts vivent cette nuit-lĂ  et voient et apprĂ©cient ce qu’ont fait pour eux qu’ils se dĂ©roulent parfois de vĂ©ritables batailles Ă  l’entour de certaines fosses pour « s’approprier Â» l’esprit du mort ! Voir pour la description d’une de ces disputes le passage dĂ©jĂ  citĂ© de Diab’-lĂ .

Une autre croyance populaire veut que les oiseaux nocturnes qui survolent alors le cimetière, sont les âmes des morts qui grâce aux soins des vivants (prières, illumination) quittent le purgatoire et regagnent le paradis.

Notes et références

  1. Fr. Ega, Le Temps des Madras. Lors d’une rĂ©union publique, un brave homme s’indignait : « I titroyĂ© moin Â». « Il a clamĂ© mon titre c’est-Ă -dire mon nom (de (famille) ! Â» ↩︎
  2. Le surnom c’est, en Martinique, le nom vante (du français vent) c’est-Ă -dire, vraisemblablement, le nom qui peut affronter la publicitĂ© sans dommage pour l’intĂ©ressĂ© (au contraire du nom de baptĂŞme). ↩︎
  3. Voir la contribution d’Ina Césaire dans ce volume. ↩︎
  4. Ou malicieusement : Si vous ne vous occupez pas d’un de vos morts, il peut venir vous tirer les pieds ou vous toucher en vous laissant un « bleu Â» Ă  l’endroit du contact. ↩︎
  5. Tous ces renseignements concernant les cĂ©rĂ©monies funèbres dans les mornes m’ont Ă©tĂ© donnĂ©s par mon père qui passa sa jeunesse dans un de ces mornes, Rivière-SalĂ©e, oĂą il a Ă©tĂ© lui-mĂŞme tĂ©moin de ces pratiques et oĂą il y a mĂŞme participĂ©. ↩︎