Les Afro-Iraniens, fils d’Afrique en Perse

par Mathieu N'DIAYE

Découvrez l’histoire méconnue des Afro-Iraniens, descendants d’esclaves et d’immigrants africains établis en Iran depuis des siècles. Entre traditions africaines et culture persane, leur parcours unique incarne la résilience d’une communauté, oscillant entre mémoire effacée et identité retrouvée.

L’histoire de l’Afrique et de ses diasporas s’étend au-delà des continents et des frontières visibles, comme en témoignent les Afro-Iraniens, un groupe largement méconnu mais profondément enraciné dans le sud de l’Iran, à travers des provinces comme le Hormozagan, le Sistan, le Baluchistan et le Khouzistan. Constitués de descendants d’esclaves amenés d’Afrique de l’Est via la traite orientale, les Afro-Iraniens sont aujourd’hui une minorité riche d’un patrimoine culturel complexe, entre Islam chiite, traditions africaines et persanes. Leur existence, pourtant souvent effacée des mémoires collectives, symbolise la résistance et l’adaptation d’un peuple façonné par l’exil et la survie.

Origines et routes de la traite oriental

Rare peinture à l’huile safavide représentant un soldat africain, Perse, Ispahan, vers 1680-90.

Les Afro-Iraniens, aussi appelés « Siya«  (qui signifie « Noir » en persan) ou « Bambasi » pour certains groupes, trouvent leurs origines dans la traite des esclaves orientale. À partir du IXe siècle, des routes commerciales reliaient l’Afrique de l’Est au Moyen-Orient, transportant des milliers d’hommes, femmes et enfants africains vers des terres éloignées, comme le sous-continent indien, la péninsule Arabique, et la Perse, aujourd’hui l’Iran. Si l’Atlantique a une histoire d’esclavage documentée et reconnue, la traite orientale, bien que moins visible dans les récits historiques occidentaux, est non moins significative. Pendant des siècles, les Africains étaient échangés, principalement à partir de la côte swahilie, par des marchands arabes, portugais et perses.

Une pratique tardive et des traces culturales vivaces

Gholam Hoseyn Mirza Masoud, l’un des fils de Zell-e-Soltan, avec son esclave africain personnel, Julfa, Ispahan, années 1880 Photographie : Thooni Johannes/Institut d’études historiques contemporaines iraniennes, Téhéran, Iran

L’esclavage des Afro-Iraniens a perduré bien après les abolitions occidentales. Le XIXe siècle, en particulier, marque une intensification des importations d’esclaves en Iran, où de riches familles persanes, notamment sous les dynasties Kadjar et Safavide, employaient des esclaves africains dans les maisons aristocratiques pour des tâches domestiques, parfois aux côtés d’esclaves circassiens ou d’Europe de l’Est. Les esclaves noirs, principalement des femmes et des enfants, étaient intégrés aux foyers, où ils devenaient des serviteurs ou des concubines. Ce n’est qu’en 1848, sous la pression britannique, que Mohammad Chah Qadjar signe un firman (décret) interdisant officiellement la traite des esclaves, bien que l’esclavage persiste officieusement jusqu’au début du XXe siècle. Aujourd’hui encore, les pratiques musicales, comme le bandari, rappellent les racines africaines de ces Iraniens d’origine subsaharienne, mêlant rythmes africains et chants persans.

Un combat pour la visibilité

Alex E. Eskandarkhah

Depuis les années 2020, un mouvement de réhabilitation identitaire a émergé, incarné par des collectifs comme le Collective for Black Iranians, dont la mission est de revendiquer une visibilité pour la communauté afro-iranienne. Le collectif aspire à faire connaître les Afro-Iraniens au grand public, en mettant en lumière leur contribution à la culture et à l’identité iranienne, ainsi que les discriminations dont ils font encore l’objet. Inspiré par des mouvements tels que Black Lives Matter, le collectif milite pour la reconnaissance de la négritude iranienne et pour l’acceptation de la diversité raciale du pays.

Des militants comme Alex E. Eskandarkhah luttent pour renverser les connotations négatives associées au terme « Siya » et transformer cette désignation en un symbole d’affirmation et de fierté. À travers leur travail, les Afro-Iraniens affirment leur place dans la « tapisserie » iranienne, cherchant à déconstruire des idées reçues, comme l’idée que les Afro-Iraniens seraient « noirs à cause du soleil ». Ce genre de mythe a été renforcé par une culture de déni de l’esclavage, que des chercheurs comme Beeta Baghoolizadeh expliquent par l’influence du « mythe aryen » : une croyance populaire, héritée de l’histoire persane, que les « vrais » Iraniens n’auraient jamais pratiqué l’esclavage ni hérité de lignées de populations africaines.

Tradition et identité afro-iranienne

Saeid Shanbehzadeh.

En dépit des obstacles, les Afro-Iraniens continuent de préserver leurs héritages culturels à travers des pratiques ancestrales comme le rituel du Zār, un rituel de guérison pratiqué principalement dans le sud de l’Iran, au Sistan-Baloutchistan et dans la région d’Hormozagan. Le Zār, héritage des croyances spirituelles africaines, consiste en des chants et des danses visant à exorciser des mauvais esprits. Des musiciens comme Saeid Shanbehzadeh, artiste iranien noir, perpétuent cette mémoire musicale et culturelle, soulignant les liens étroits qui unissent les Afro-Iraniens à leurs racines africaines, tout en intégrant ces pratiques à la culture persane contemporaine.

Un héritage méconnu mais inaltérable

Bien que largement absente des manuels scolaires et des médias, la communauté afro-iranienne constitue un témoignage vivant de l’histoire persane, qui transcende les frontières ethniques et raciales. En explorant leur passé, les Afro-Iraniens font preuve de courage, transformant les stigmates d’un passé douloureux en une force culturelle et identitaire. Leur parcours est une preuve indéniable de la capacité humaine à surmonter l’adversité et à s’approprier son destin.

Notes et références