La renaissance du N|uu grâce à Ouma Katrina Esau : un combat pour préserver l’histoire et la culture des San.
L’histoire oubliée et la suppression des langues San
L’histoire des langues San, y compris le N|uu, est marquée par une longue période de suppression systématique et d’oppression culturelle. Cette histoire tragique a commencé à la fin des années 1770, lorsque les autorités coloniales ont commencé à délivrer des permis de chasse pour l’élimination des hommes San. Cette politique brutale visait non seulement à réduire la population San, mais aussi à détruire leur culture et leurs moyens de subsistance. En parallèle, les femmes San et les enfants de moins de deux ans étaient isolés et interdits de parler leurs langues ancestrales, une mesure draconienne visant à éradiquer complètement ces langues de la mémoire collective.
La suppression des langues San a atteint son apogée pendant l’ère de l’apartheid en Afrique du Sud. Durant cette période sombre, les politiques éducatives étaient particulièrement cruelles envers les langues autochtones. Les enfants San, comme d’autres enfants autochtones, étaient punis s’ils parlaient leur langue maternelle à l’école. Le seul langage autorisé était l’afrikaans, une langue imposée par le régime de l’apartheid. Cette répression linguistique a eu des conséquences dévastatrices, conduisant à la disparition de nombreuses langues et à la perte d’une grande partie du patrimoine culturel San.
Le Dr Yvette Abrahams, directrice intérimaire du Centre d’études africaines, a souligné ces faits lors de la cérémonie honorant Ouma Katrina Esau. Elle a rappelé les luttes historiques des San et l’impact durable de ces politiques répressives. « Lorsque nous honorons Ouma aujourd’hui, c’est parce que nous comprenons jusqu’où vous êtes allée pour en arriver là« , a-t-elle déclaré.
« Nous comprenons ce que vous avez traversé pour préserver la langue. Nous comprenons que vous venez d’un contexte de suppression telle que les gens avaient peur de parler la langue en plein jour. »
La mobilisation communautaire pour un avenir meilleur
Le rôle des chercheurs et des institutions académiques dans la préservation des langues en voie de disparition ne peut être sous-estimé. Anthony Phillip Williams, représentant de l’Indigenous First Nation Advocacy South Africa, a souligné l’importance de respecter et de valoriser les expériences vécues des communautés autochtones dans les recherches linguistiques et culturelles. Il a lancé un appel à l’UCT et à d’autres institutions pour qu’elles aident les premières nations à renouer avec leurs racines, leurs cultures et leurs traditions.
« Le génocide est au cœur de la raison pour laquelle les peuples de première nation, dans notre cas les peuples San et Khoi, ne parlent pas leurs langues et pourquoi ces langues sont presque éteintes« , a déclaré Williams. Il a conclu son discours par un appel émotionnel à l’université pour qu’elle soutienne les premières nations dans leurs efforts de revitalisation culturelle.
« Nous appelons l’UCT, en tant que communautés San et Khoi : ne voulez-vous pas nous tendre la main alors que nous naviguons dans l’une des choses les plus difficiles, car dans la langue, notre identité est située. Ne voulez-vous pas nous aider à nous retrouver ? »
Cette reconnaissance de la langue comme élément central de l’identité culturelle souligne l’importance des efforts de revitalisation. La langue N|uu, comme beaucoup d’autres langues autochtones, porte en elle des histoires, des connaissances et des valeurs qui sont essentielles à la culture San. La préservation de cette langue n’est pas seulement une question linguistique, mais aussi une question de survie culturelle et de justice historique.
Des initiatives innovantes pour revitaliser le N|uu
Les efforts pour revitaliser la langue N|uu vont au-delà de l’enseignement et de la documentation. Ils impliquent également la création de ressources éducatives et culturelles accessibles à la communauté. Le dévoilement du dictionnaire en langue N|uu, compilé avec l’aide précieuse d’Ouma Katrina, est un exemple de ces initiatives. Ce dictionnaire, disponible en version papier et numérique, ainsi que l’application mobile Saasi Epsi, sont des outils précieux pour l’apprentissage et la préservation de la langue. Ils sont accessibles gratuitement grâce au financement du Département des Sports, des Arts et de la Culture du gouvernement sud-africain.
Le Dr Kerry Jones, directeur de l’organisation African Tongue, a souligné l’importance de ce travail de documentation et de préservation. Il a noté que la création du dictionnaire a été un projet de 25 ans, impliquant de nombreux membres de la communauté qui ont contribué de leur voix et de leurs connaissances. « Le travail sur lequel nous nous sommes appuyés pour créer cette publication est en fait une œuvre de 25 ans d’amour où de nombreux membres de la communauté ont littéralement contribué de leur voix au projet« , a-t-il déclaré.
La professeure associée Lolie Makhubu-Badenhorst, directrice du projet d’éducation au multilinguisme au sein du Centre de développement de l’enseignement supérieur (CHED) de l’UCT, a également souligné la valeur académique du dictionnaire. Elle a expliqué que ce dictionnaire comble des lacunes cruciales dans la recherche sur la culture sud-africaine et offre une ressource inestimable pour les chercheurs et les étudiants.
Un avenir prometteur pour la langue N|uu
L’histoire de la revitalisation du N|uu est un exemple inspirant de résilience et de détermination communautaire. Elle montre comment une communauté peut se mobiliser pour protéger et revitaliser sa langue et sa culture, même après des décennies de suppression. Les efforts d’Ouma Katrina Esau et de ses collaborateurs ont jeté les bases d’une renaissance linguistique qui pourrait inspirer d’autres communautés autochtones à travers le monde.
L’avenir de la langue N|uu dépend de la poursuite de ces efforts de revitalisation et de l’engagement continu des jeunes générations. En enseignant la langue aux jeunes et en créant des ressources éducatives accessibles, Ouma Katrina assure que le N|uu continuera de vivre et de prospérer. Son travail est un témoignage puissant de l’importance de la diversité linguistique et culturelle, et un rappel de la nécessité de protéger les langues en voie de disparition pour les générations futures.