Le statut de la femme dans l’Empire du Mali

par Sandro CAPO CHICHI

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali

Histoire

1 juillet 2021

Les témoignages contemporains rapportent le caractère privilégié du statut de la femme dans l’Empire médiéval ouest-africain de Mali.

Ibn Battuta et le statut de la femme dans l’Empire de Mali

Le statut de la femme dans l’Ancien Empire de Mali nous est d’abord connu grâce au témoignage d’Ibn Battuta, célèbre voyageur berbère marocain du 14ème siècle. C’est en 1352 qu’Ibn Battuta a fait le trajet de la ville marocaine de Sijilmasa vers celle de Oualata (actuelle Mauritanie). Oualata constituait à l’époque la province la plus septentrionale de l’Empire de Mali.

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali : Carte représentant l’Empire de Mali à son apogée et le trajet d’Ibn Battuta de Sijlmassa jusqu’à Oualata

Le statut de la femme à Oualata

Ibn Battuta rappelle qu’à Oualata « les femmes sont extrêmement belles et plus importantes que les hommes. La condition [des habitants de Walata] est étrange et leurs moeurs des plus excentriques. En ce qui concerne leurs hommes, il n’existe pas de jalousie sexuelle entre eux. Et aucun d’entre eux ne dérive sa généalogie à partir de son père, mais au contraire, de son oncle maternel. Un homme ne transmet son héritage qu’aux fils de sa soeur à l’exclusion de ses propres fils. […] En ce qui concerne leurs femmes, elles ne sont pas modestes en présence d’hommes et ne se voilent pas en dépit de leur persévérance dans la pratique de la prière. 

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali : L’actuelle ville de Oualata, Mauritanie

Qui souhaite épouser une d’entre elles peut le faire, mais les femmes ne voyagent pas avec leur mari, et même si elles le souhaitaient, leur famille ne le leur permettrait pas. Les femmes ont des amis et des fréquentations de sexe masculin en dehors de ce qui est permis par les liens du mariage [et de la famille]. De même, les hommes ont des compagnes et des amies parmi les femmes en dehors de ce qui est permis par les liens du mariage [et de la famille]. L’un d’entre eux pourrait entrer dans sa maison, y trouver sa femme avec une fréquentation de sexe masculin et n’y voir aucune objection. 

La matrilinéarité en vigueur à Oualata, ne l’était apparemment pas en vigueur dans la capitale, comme on va le voir plus bas, en tous cas en ce qui concerne la succession des souverains.

Ibn Battuta était issu d’un pays où la ségrégation entre femmes et hommes faisait règle, dans le cadre de la Sharia. Pour lui, il était scandaleux que dans un pays musulman, des femmes puissent fréquenter des hommes autres que leurs époux, leurs frères ou leurs pères.

Le statut de la femme dans l’empire de Mali : Habitants de l’actuelle Oualata, Mauritanie

Deux anecdotes ont dans ce cadre particulièrement choqué Ibn Battuta à Oualata. Il les raconte en ces termes:

« Un jour, je suis entré chez un qadi (juge)  à Oualata après qu’il m’ait donné la permission d’entrer. Je l’ai trouvé en compagnie d’une femme, jeune et jolie. En la voyant, j’ai été choqué et ai commencé à faire demi-tour. Elle rigola de moi et ne montra guère de modestie. Le qadi me dit : « Pourquoi vous en allez-vous? Elle n’est qu’une de mes camarades. J’étais choqué par leur conduite parce qu’il avait effectué le pèlerinage à la Mecque et appartenait à la classe des faqih (théologiens). »

« Un jour, je suis entré chez Abu Muhammad Yandakan […] C’est avec lui que j’avais le voyage jusqu’ici. Je l’ai trouvé assis sur un matelas et au milieu de sa maison se trouvait un lit avec un baldaquin. Dessus se trouvaient assis une femme avec un homme qui y discutaient. Je lui dis: « Qui est cette femme »?. Il dit: « C’est ma femme ». « Qui est l’homme qui est avec elle pour elle »? Il dit :  » c’est son camarade ». 

Je lui dis: « Vous acceptez cela alors que vous avez vécu dans notre pays et avez été familier des règles de la Sharia? ». Il dit : « La compagnie entre hommes et femmes est [considérée comme] honorable dans notre pays et se déroule dans de bonnes conditions : il n’y a rien de suspicieux à ce sujet. Elles ne sont pas comme les femmes de votre pays ». Je fus choqué par cette réponse irréfléchie, je l’ai quitté et ne suis plus revenu vers lui après cela. » 

Il est remarquable qu’à Oualata, une ville de l’Empire de Mali, le statut de la femme était d’après Ibn Battuta plus important que celui de l’homme. S’il est difficile de comprendre exactement ce que veut dire l’auteur par ces mots, il explique que la succession est matrilinéaire, c’est -à-dire que l’héritage d’un homme se transmet aux fils de sa soeur et que sa généalogie se fait à partir de son oncle maternel.

Cette pratique a été expliquée par un savant comme Cheikh Anta Diop comme faisant partie d’un ‘matriarcat africain’. Cette pratique ne doit toutefois pas être en elle-même considérée comme un gage du meilleur traitement de la femme dans la société. Ce choix ne se base que sur le caractère plus démontrable de la parenté de sang entre un homme et son neveu utérin par rapport à sa parenté moins facilement démontrable avec son propre fils.

Certes Ibn Battuta insiste sur la plus grande importance des femmes dans la société. Toutefois, on peut s’interroger si cette plus grande considération accordée aux femmes n’est pas interprétée en comparaison avec leur situation dans le Maroc Marinide. L’homme transmettait-il par exemple aussi son héritage aux filles de sa soeur comme il le faisait aux fils de celle-ci?

Une chose est sûre, la ségrégation entre sexes était absente de Oualata. Une femme mariée pouvait discuter avec un homme non-issu de sa famille. La logique derrière la ségrégation entre hommes et femmes peut être expliquée par une volonté de prévenir les tentations adultères et une volonté de ne pas faire des femmes des objets sexuels et des victimes de violences physiques et sexuelles.

Il s’agit là d’une vision fort pessimiste de l’humanité qui veut que le mariage ne puisse pas être respecté si des personnes non-mariées et de sexe opposé passent du temps ensemble.

A Mali et dans l’histoire mandingue plus généralement, comme on va le voir, la faible propension au crime et à l’injustice et la détestation de l’adultère était semble-t-il largement ancrée dans les moeurs. Cela semble avoir favorisé ce genre de rencontres entre personnes de sexe opposé sans crainte de violence.

Ibn Battuta et le statut de la femme dans la capitale de Mali

Après Oualata, Ibn Battuta se rendit dans la capitale de Mali, qui reste aujourd’hui mal identifiée par les historiens et les archéologues. A l’époque, le souverain de Mali est le Mansa Sulaiman.

Comme on l’a dit, parmi les choses qui l’ont séduit dans l’Empire de Mali, Ibn Battuta cite la sécurité y régnant et l’amour de ses habitants pour la justice et leur horreur de l’injustice.

« Parmi leurs qualités il y a le maigre degré d’injustice parmi eux, parce qu’il n’y a pas de peuple qui en soit aussi éloigné. Leur sultan ne pardonne personne en ce qui concerne toute affaire d’injustice. Parmi ces qualités, il y aussi la prévalence de la paix dans leur pays, le voyageur n’a pas à y avoir peur, ni celui qui y vit n’a à avoir peur du voleur ou du braqueur. Ils n’interfèrent pas avec la propriété de l’homme blanc qui meurt dans leur pays, même si celle-ci est constituée de grandes richesses, mais la confient plutôt à une personne de confiance parmi les Blancs qui le garde jusqu’à ce que le prétendant légitime ne la récupère ».

Le statut de la femme dans l’Ancien Empire de Mali : Représentation d’Ibn Battuta à Mali, par Norman McDonald /Aramco World

La droiture morale des habitants de Mali et l’intolérance de leur souverain à l’endroit de l’injustice a du renforcer la confiance qu’avaient ces populations au sujet de la fréquentation de personnes d’un autre sexe, même si elles n’était pas mariées ou de la même famille. Le tout a du être facilité par une absence historique de ségrégation entre les sexes chez les populations mandingues. Celle-ci est illustrée par une autre observation d’Ibn Battuta dans la capitale de Mali, qui rapporte au sujet du souverain de Mali d’alors que:

« […] Le Sultan était en colère avec sa première femme, la fille de son oncle paternel, que l’on appelait Qasa, qui signifie reine parmi eux. La reine est sa partenaire dans la royauté comme il est de coutume chez les Noirs. Son nom est mentionné avec le sien sur la chaire. Le sultan emprisonna la reine […]  et nomma à sa place  son autre femme, Banju. Elle ne faisait pas partie des filles des rois. La population discuta beaucoup à ce propos et désapprouva cette action. »

A Mali donc, le pouvoir royal était partagé entre le Mansa et la Kaasa, mot qui signifie toujours en langue malinke, ‘reine’. Le rôle de Kaasa semble avoir été réservé aux filles de rois, comme celui de Mansa. La royauté semble donc avoir été partagée entre un roi et une reine, la seconde étant une souveraine à part entière et non une épouse de roi. Son rôle aurait peut-être été comparable à celui d’une reine-mère comme à Méroé ou en Asante, avec qui l’union entre le souverain et la souveraine n’avait pas de connotation sexuelle.

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali : Peinture moderne représentant une scène de l’empire de Mali

Il s’agit là d’un important indice de parité homme-femme à Mali, bien qu’il soit incomplet. Toutefois, une autre coutume rapportée par Ibn Battuta semble montrer un déséquilibre dans le traitement entre hommes et femmes. Il s’agit d’un récit de sacrifice humain suivi par un acte de cannibalisme.

« Puis vinrent voir le Mansa Sulaiman un groupe de ces Noirs qui mange des êtres humains et qui était accompagné par un de leurs amirs (commandants). […] Dans leur pays se trouve une mine d’or. Le sultan fut gracieux à leur égard. Il leur donna comme cadeau d’hospitalité une esclave. Ils la tuèrent et la mangèrent. Ils se sont recouvert le visage et les mains de son sang et remercièrent le sultan à leur tour. Il m’a été dit qu’il est de coutume pour eux de faire ainsi à chaque fois qu’ils viennent lui rendre visite. »

Ce cas de sacrifice humain rapporté par Ibn Battuta, s’il est authentique et exhaustif, est défavorable aux femmes. Rien ne nous dit toutefois que d’autres sacrifices humains de ce type ne concernaient pas des hommes. Cependant, l’existence, selon la tradition soninke du sacrifice annuel d’une vierge pour la pérennité de l’empire de Ghana (Wagadou), prédécesseur de Mali comme grande puissance de la région et riche en or, pourrait confirmer l’importance de victimes de sexe féminin dans le sacrifice humain dans l’aire culturelle du Mali médiéval et de ses tributaires.

Le statut de la femme chez les héritiers de l’Empire de Mali

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali peut également être reconstruit par les pratiques récemment documentées chez les descendants du coeur de cet empire. Parmi ceux-ci, que l’on appelle Mandingues, on trouve notamment les Malinké de Guinée et de Côte d’Ivoire ou les Bambara du Mali. L’historienne, ethnographe et femme politique malienne Madina Ly-Tall a par exemple consacré une étude de terrain dédiée au statut de la femme dans la société traditionnelle mandingue. Publiée en 1978 dans la fameuse revue ‘Présence Africaine’, cet article se base sur une étude de terrain en pays mandingue.

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali : Madina Ly-Tall dans sa fonction d’ambassadrice du Mali en Italie en 1996.

L’étude montre l’importance cruciale de la femme dans le domaine de l’économie de la société, à travers la pratique de l’agriculture, de l’artisanat, des enfants qu’elle ‘fournissait’ biologiquement et qu’elle éduquait. Par le travail considérable qu’elle abattait, elle jouissait d’un grand respect au sein de la société, tout particulièrement auprès de ses enfants.

Ce respect lui garantissait souvent une influence sur les hommes dans la société, qu’ils s’agissent de leurs enfants ou de leurs époux. Ce fut le cas de Saran Kégni, l’épouse préférée de Samori, qui avait une influence prépondérante sur les décisions judiciaires et militaires de son mari.

Comme le rapporte l’auteur à travers le témoignage d’un informateur, Koloba Camara, chef du village de Bankoumana : 

« Rien ne se faisait sans la femme ; si tu entends l’homme minimiser la femme, c’est superficiel en réalité (à moins qu’il ne s’agisse de femmes vides, de femmes superficielles aussi) ; rien ne se faisait sans sa participation. Quand tout le monde disait d’un homme qu’il était bien, sérieux, valable, il fallait qu’il eût une femme sinon il était considéré comme incomplet. La femme était en effet le complément de l’homme. Sa compagne des bons et des mauvais jours. « 

Le statut de la femme chez les descendants de l’empire de Mali à travers le concept de badenya

L’importance du statut de la femme dans la société traditionnelle mandingue est aussi perceptible à travers les concepts de fadenya et de badenyaFadenya signifie ‘le fait d’être des enfants du père’ alors que badenya signifie ‘le fait d’être des enfants de la mère’. Par extension, fadenya signifie ‘rivalité’ et ‘conflit’, en référence aux relations entre fils d’un même père mais d’une mère différente qui doivent se battre pour l’héritage qui est traditionnellement transmis par le père.

Le statut de la femme dans l’Ancien Empire de Mali : Statue en terre cuite de Djenné sur le territoire ou à forte proximité du territoire de l’Empire de Mali (entre 1200 avant notre ère et 1400 après JC)

De même, badenya, qui fait référence à la relation entre enfants d’une même mère, notamment dans les ménages polygames, exprime la solidarité et l’absence de rivalité entre ces enfants et avec leur mère. Ryan Thomas Skinner exprime en ces termes les significations de badenya au sens restreint et au sens large:

« Badenya, signifiant littéralement « mère-enfant-notion », désigne l’affection partagée ressentie par les enfants d’une même mère dans des familles polygames et connote la dévotion envers la maison, la famille et la tradition. En tant que concept social, le badenya transmet un sentiment de communauté, de solidarité sociale et d’intimité partagée qui est l’essence intersubjective de la société civile. 

En tant que tel, badenya porte en lui une forte valeur morale ; le badenya implique une essence de « bonté » et de « justice » envers la collectivité familiale. […]

Alors que le badenya transmet un sens de la communauté et un engagement envers l’ordre matériel et social dans les espaces civils de la société mandé, le fadenya exprime le désir d’un individu de rivaliser avec et de transcender les traditions et les mœurs de ses ancêtres en choisissant de s’aventurer dans l’espace sauvage, qu’il soit matériel (le« pays étranger » ou la « brousse » éloignés) ou conceptuel (une ‘idée’). « 

Le fadenya peut être positif comme négatif. Dans le premier cas, il faudra que l’acte asocial se réintègre positivement à la société et améliore le badenya. Ce fut le cas de Soundjata Kéïta, fondateur de l’empire de Mali, qui en conflit avec son demi-frère, partit en exil puis finit par récupérer l’héritage de son père, apportant la paix, la solidarité et l’harmonie à Mali, le badenya.

Le badenya est un espace où les femmes montrent le plus leur influence. Il est remarquable, en ce qui concerne le statut de la femme, que cette notion qui est positive de manière inhérente qu’est le badenya soit associée à la femme. Cette réalité traduit sans doute la tension opérée par l’amour porté par le fils à sa mère et la structure patriarcale de la société.

Le statut de la femme à travers la cosmogonie mandingue moderne

Si l’élite de l’empire de Mali du 15ème siècle était musulmane ou du moins islamisée, il ne fait aucun doute qu’une grande partie de la population de ses habitants étaient restés fidèles à la religion traditionnelle locale.

Le statut de la femme dans l’Ancien Empire de Mali : statue bamana (Mali, 19-20ème siècles), Metropolitan Museum of Art, New York

Un fameux mythe mandingue de l’origine du monde présente les deux premiers êtres humains comme des jumeaux, en l’occurrence la femme Mousso Koroni et l’homme Pemba.

Ce mythe est intéressant pour une meilleure compréhension du statut de la femme dans la culture traditionnelle mandingue.

Dans celui-ci, c’est la femme Mousso Koroni qui manque de respect à l’Être suprême et dévoie son jumeau, notamment par son comportement sexuel indécent.

Lire aussi: Le statut de la femme dans le royaume de Ndongo

Les comportements de Mousso Koroni sont souvent utilisés pour expliquer les comportements des femmes aujourd’hui.

Dans un autre version du mythe, la création de Mousso Koroni  qui rappelle la misogynie du mythe de création d’Eve à partir de la côte d’Adam, Mousso Koroni est créée à partir de Pemba.

Elle se rebelle ensuite par jalousie envers Pemba et l’accès sexuel à toutes les femmes  dont il souhaite disposer, et refuse de continuer de participer à la création.

Comme l’explique Culianu : 

« dans le mythe bambara, Mousso Koroni est un personnage féminin qui se révolte contre le mauvais ordre ‘masculin’ du monde. Sa révolte peut être définie de manière générique comme une quête de liberté, mais qui pourrait aussi être interprétée en des termes sexuels (sa trahison de Pemba est en réalité un adultère). La déchéance de Mousso Koroni détermine le passage de l’humanité, de son immortalité et de sa joie primitives à une condition dans laquelle le mal, la malchance et la mort sont associés de manière irrévocable au sort de l’humanité. Cependant, Moussso Koroni aide l’humanité en difficulté en lui enseignant le langage et l’agriculture. »

En quelque sorte, Mousso Koroni est un manuel du comment se comporter et ne pas se comporter pour la femme mandingue traditionnelle.

Le côté sombre du statut de la femme dans les sociétés mandingues historiques

Comme le rappelle Madina Sy-Tall, la polygamie était réservée aux chefs et aux familles très riches. Elle ajoute que l’adultère était très mal vu car il pouvait nuire à l’équilibre économique d’une famille, en ne ‘fournissant’ pas les enfants et la force de travail qu’ils devaient apporter. Cette hostilité vis-à-vis de l’adultère peut être mobilisée pour comprendre la compagnie nonchalante entre hommes et femmes non-mariés dans l’Empire de Mali sous le règne du Mansa Sulaiman qui ne devaient pas du tout y envisager l’adultère.

Toujours selon Madina Sy-Tall, la femme mandingue devait être soumise à son mari:

« La femme mariée devait une fidélité totale à son mari. Quand elle intégrait une famille, c’était, en général, pour n’en sortir qu’à sa mort. Même quand le mari venait à mourir avant elle, elle épousait un petit frère du défunt, car elle avait été donnée en mariage à toute la famille et non à une personne déterminée.

Elle ne pouvait pratiquement pas se dérober à ce transfert car elle a été épousée avec le fruit du travail collectif de tous les frères ; les cadets qui passaient toute leur vie à travailler pour leurs aînés n’avaient pas d’autres moyens pour se marier. 

Pour illustrer tout cela, un adage malinké disait : « une femme n’est jamais mariée deux fois ». Sa dot n’était payée qu’une fois. Si elle refusait de « passer » à un frère, non seulement elle se mettait au ban de la société, mais elle devait rembourser la dot qui allait servir à marier celui qu’elle avait refusé. « 

Lire aussi:Le statut de la femme dans le royaume de Dahomey

L’auteur conclut, au sujet du statut de la femme dans la société mandingue précoloniale, qui « jouissait de beaucoup de considération et de respect. Elle était malgré tout considérée comme inférieure
par rapport à l’homme, si nous prenons comme critères d’appréciation, ceux de nos jours ; mais si par contre nous jugeons ces relations d’antan, entre homme et femme, selon les normes malinké elles-mêmes, on doit plutôt parler de complémentarité entre les deux. »

Selon elle, ce sont les changements économiques liés à la colonisation qui ont rompu cette complémentarité, cet équilibre entre la femme et l’homme: monétarisation de l’économie, agriculture orientée vers les produits industriels à exporter, activité effectuée par les hommes durant la colonisation. Tous ces facteurs ont contribué à diminuer le statut de la femme dans les sociétés mandingues.

Comme on l’a vu toutefois, complémentaire ou pas à celui de l’homme, plus avancé que dans les pays arabes ou non, le statut de la femme n’était pas égal à celui de l’homme dans la société mandingue traditionnelle en ce que les femmes n’avaient pas accès à certaines pratiques comme la polyandrie, étaient techniquement mariées à une fratrie entière, étaient soumises à leur maris, et étaient barrées de certains domaines comme le commerce.

Que le statut de la femme ait été plus avantageux dans les sociétés noires noires africaines, mandingues en particulier, que dans les sociétés eurasiennes en général, ne doit pas nous aveugler sur les inégalités dont souffraient nos ancêtres féminins, dont seul une reconnaissance et un examen sérieux par leurs descendantes et descendants pourront leur garantir une parité dans l’ avenir de l’Afrique.

Le statut de la femme dans l’Empire de Mali : quelques références bibliographiques

  • Ibn Battuta, Samuel Hamdun, Noel King / Ibn Battuta in Black Africa
  • Youssouf Tata Cissé / Le sacrifice chez les Bambara et les Malinké
  • Cheikh Anta Diop / L’Unité Culturelle de l’Afrique Noire
  • Ioan Petru Culianu/ Feminine versus Masculine. The Sophia Myth and the Origins of Feminism
  • Madina Ly / La femme dans la société traditionnelle mandingue (d’après une enquête sur le terrain)
  • Ryan Thomas Skinner / Civil taxis and wild trucks: the dialectics of social space and subjectivity in Dimanche à Bamako