Akhénaton, le pharaon révolutionnaire qui tenta d’imposer le monothéisme

par Sandro CAPO CHICHI

Pharaon iconique de l’Égypte antique, Akhénaton, souvent considéré comme le pionnier du monothéisme, reste une figure fascinante pour sa réforme religieuse radicale et son art non conventionnel. Né sous le nom d’Amenhotep IV, il accéda au trône au XIVe siècle avant J.-C., héritant du règne prospère de son père, Amenhotep III. Akhénaton marquera profondément l’histoire par sa tentative de bouleverser le système religieux en place en faveur d’un culte unique dédié à Aton, symbolisé par le disque solaire. Sa vision du pouvoir divin et royal continue de captiver historiens et archéologues, près de 3 300 ans après sa mort.

Les origines et la jeunesse d’Akhénaton

Buste d’Akhenaton, Musée égyptien du Caire.

Akhénaton, né sous le nom d’Amenhotep (ou Aménophis en grec), voit le jour au sein d’une des plus puissantes dynasties pharaoniques de l’Égypte. Il est le fils d’Amenhotep III, un pharaon qui a régné sur l’un des empires les plus prospères de l’histoire de l’Égypte, et de la reine Tiyi, son épouse principale. Né probablement dans la seconde moitié du XIVe siècle avant notre ère, Amenhotep IV, qui deviendra Akhénaton, aurait grandi dans un environnement profondément religieux et intellectuel, où le clergé d’Amon jouait un rôle prépondérant.

Amenhotep III, le père d’Akhénaton

Il s’agit de la tête d’une statue du pharaon du nouveau royaume Amenhotep III. Cette statue se trouve au British Museum et porte le numéro de musée EA4.

Amenhotep III, également connu sous le nom d’Aménophis III, est l’un des pharaons les plus emblématiques de la XVIIIe dynastie. Sous son règne, l’Égypte connaît une période de stabilité politique, d’expansion territoriale et de prospérité économique. Père d’au moins six enfants avec la reine Tiyi, Amenhotep III voit en son fils aîné, Thoutmosis, son héritier présumé. Cependant, la mort prématurée de Thoutmosis propulse Amenhotep IV, encore jeune, sur le devant de la scène en tant que futur pharaon. C’est après cette perte que le destin du jeune Amenhotep se met en marche vers la prise du pouvoir et la mise en place de réformes qui bouleverseront l’Égypte antique.

Le prince Thoutmosis, l’héritier disparu

Statue des Königs Thutmosis III. (Höhe: 90,5 cm, Grauwacke, 18. Dynastie), gefunden 1904 in der Cachette des Karnak-Tempels, ausgestellt im Luxor-Museum, Ägypten.

Avant la mort de son frère aîné, Amenhotep IV ne semblait pas destiné à régner. Le prince Thoutmosis, héritier naturel d’Amenhotep III, était préparé à prendre la succession. En tant qu’aîné, il avait suivi l’éducation rigoureuse réservée aux futurs rois : une maîtrise des hiéroglyphes, des mathématiques, et des compétences dans les arts militaires. Cependant, sa disparition autour de la vingt-neuvième année de règne d’Amenhotep III propulsa Amenhotep IV dans le rôle inattendu d’héritier présomptif.

Une formation de pharaon

Comme tout jeune prince égyptien, Amenhotep IV fut probablement formé par des précepteurs du palais, qui lui enseignèrent les sciences, les lettres et l’art de la guerre. Ce n’est que plus tard que ses orientations religieuses commenceront à se démarquer. Toutefois, la formation militaire et diplomatique qu’il reçut, conjuguée à une éducation religieuse traditionnelle, fit de lui un souverain éduqué, bien qu’à l’esprit radicalement tourné vers la réforme.

L’Accession au trône et la transition vers le culte d’Aton

Amenhotep IV prit le trône d’Égypte à la mort de son père, vers l’année 1352 avant J.-C. Les premières représentations d’Amenhotep IV le montrent dans des postures classiques, avec des traits relativement conventionnels. Il prit alors le nom de couronnement Neferkheperure Waenre, qui signifie « Parfaites sont les manifestations de Rê, l’Unique de Rê ». Conformément à la tradition, il organisa les funérailles de son père et commença à honorer les dieux dynastiques, notamment Amon-Rê.

Cependant, très tôt dans son règne, Amenhotep IV exprima son intérêt croissant pour Aton, le dieu représenté par un disque solaire. Le dieu Aton n’était pas inconnu des Égyptiens, mais il occupait jusqu’alors une place secondaire dans le panthéon égyptien. Le pharaon décida d’élever Aton au-dessus des autres divinités, en le présentant comme la seule force créatrice à l’origine de toute vie sur Terre. C’est à partir de ce moment que la révolution religieuse prit forme.

La montée en puissance d’Aton

Dès la troisième année de son règne, Amenhotep IV accentua sa promotion du culte d’Aton. Il déclara être le « premier prêtre » de ce dieu et fit ériger plusieurs temples en son honneur, dont un à Karnak, au cœur même du domaine d’Amon-Rê. Toutefois, il continuait encore à se montrer sous la protection d’Amon, marquant une phase de transition entre l’ancien culte et le nouveau.

En l’an IV de son règne, le pharaon introduisit une innovation majeure : le nom d’Aton fut inscrit dans un cartouche, un privilège généralement réservé aux noms des souverains. Cela marqua le début d’une nouvelle ère dans laquelle Aton n’était plus seulement un dieu parmi d’autres, mais le seul dieu méritant un culte officiel.

Nefertiti, la Grande Épouse royale

Photo du buste de Néfertiti dans le Neues Museum de Berlin (Allemagne).

Peu après le début de cette transition religieuse, une autre figure emblématique fit son apparition : Nefertiti, la grande épouse royale d’Amenhotep IV. Sa beauté légendaire et son rôle auprès du pharaon sont célébrés dans de nombreuses représentations. Le couple royal fut souvent représenté ensemble dans des scènes d’adoration devant Aton, soulignant le caractère sacré et central de cette union dans la nouvelle religion. De cette union naquirent au moins six filles, dont trois entre l’an IV et l’an VII du règne d’Akhénaton. Nefertiti joua également un rôle politique majeur, participant aux affaires du royaume aux côtés de son époux.

Le nouveau nom : Akhénaton

En l’an V de son règne, Amenhotep IV prit une décision radicale. Il changea officiellement son nom en Akhénaton, signifiant « Celui qui est utile à Aton », symbolisant son dévouement exclusif à cette divinité solaire. Il annonça également la construction d’une nouvelle capitale, Akhetaton, située à mi-chemin entre Thèbes et Memphis, sur un site aujourd’hui connu sous le nom de Tell el-Amarna. Ce choix marqua une rupture totale avec l’ancienne capitale, Thèbes, siège du clergé d’Amon, qui refusait d’adopter la nouvelle religion. Akhetaton, la « ville de l’Horizon d’Aton », devint rapidement le centre religieux et politique de l’Égypte.

Une nouvelle forme d’art : l’amarnien

Le pharaon Akhenaton (au centre) et sa famille vénérant Aton, dont les rayons caractéristiques émanent du disque solaire. Plus tard, ce type d’images a été interdit.

Avec la fondation d’Akhetaton, Akhénaton introduisit également une nouvelle esthétique dans l’art égyptien. Cette période, appelée l’art amarnien, se distingue par une représentation plus naturaliste des personnages. Les scènes montrant le pharaon et sa famille rompent avec les représentations rigides de la tradition égyptienne. Akhénaton est souvent représenté avec des traits physiques particuliers : un visage allongé, des hanches larges, et un corps presque androgynique. Certaines théories suggèrent que ces représentations pourraient refléter une véritable maladie génétique, bien que cela reste débattu.

Cet art révolutionnaire mettait également en scène des moments plus intimes, notamment des scènes de tendresse entre Akhénaton, Nefertiti, et leurs enfants, rompant avec la froideur hiératique des représentations royales traditionnelles.

Le culte d’Aton et la répression des autres divinités

À partir de l’an VII, Akhénaton intensifia sa répression des anciens cultes. Le nom d’Amon fut systématiquement effacé des monuments, et les temples dédiés à d’autres divinités furent fermés ou réaffectés au culte d’Aton. Cette campagne de suppression se heurta toutefois à une résistance considérable, notamment de la part du puissant clergé thébain. En dépit de ces efforts, le culte d’Aton ne parvint jamais à s’imposer massivement au sein de la population égyptienne, profondément attachée à ses divinités traditionnelles.

La politique extérieure sous Akhénaton

Sur la scène internationale, le règne d’Akhénaton coïncida avec une période d’instabilité. L’Empire égyptien, qui dominait alors la Syrie-Palestine, vit son influence diminuer au profit des Hittites, un empire en pleine expansion. Grâce à des lettres écrites en akkadien, retrouvées à Tell el-Amarna, nous savons qu’Akhénaton entretenait des relations diplomatiques avec les grandes puissances de l’époque, notamment les Mitanniens, les Assyriens, et les Babyloniens. Cependant, ses relations avec ses vassaux syriens et cananéens furent tendues, ces derniers se révoltant à plusieurs reprises contre l’autorité égyptienne.

Les dernières années et la mort d’Akhénaton

Les dernières années du règne d’Akhénaton furent marquées par des épreuves personnelles et politiques. Sur le plan familial, le pharaon perdit plusieurs de ses filles et sa mère, la reine Tiyi, lors d’une possible épidémie. Sur le plan extérieur, l’Égypte perdait peu à peu son emprise sur ses territoires en Asie, menacés par l’expansion hittite. Le pharaon tenta de maintenir un état tampon, Amourrou, mais les tensions avec les Hittites et la rébellion de Qadesh affaiblirent encore davantage l’Égypte.

Akhénaton mourut après dix-sept ans de règne, laissant derrière lui un empire affaibli et une révolution inachevée. Son fils, Toutankhaton, rebaptisé Toutankhamon, revint rapidement au culte d’Amon, effaçant presque toute trace du règne de son père.

Héritage d’Akhénaton

Grand hymne à Aton

L’héritage d’Akhénaton est complexe. Bien que son règne ait été en grande partie effacé des archives officielles, il demeure aujourd’hui une figure fascinante de l’histoire égyptienne. Sa tentative d’instaurer un culte monothéiste a souvent été comparée à d’autres mouvements religieux ultérieurs, notamment dans le judaïsme, l’islam et le christianisme. Son hymne à Aton, texte religieux majeur de cette période, est parfois vu comme une des premières expressions du monothéisme.

Si son culte d’Aton ne survécut pas à sa mort, Akhénaton marqua l’histoire par son audace et sa volonté de réforme, illustrant à quel point la religion et la politique étaient indissociables dans l’Égypte ancienne. Aujourd’hui encore, son règne continue d’alimenter les débats sur la religion, l’art et le pouvoir dans l’Antiquité.

Références

  • Théophile Obenga (1990), La philosophie africaine de la période pharaonique : 2780-330 avant notre ère, Paris : l’Harmattan.
  • Marc Gabolde (2005), Akhenaton, du mystère à la lumière, Paris : Gallimard.
  • Fabien Hertier (2012), « Deux mentions du prænomen d’Akhénaton dans une encyclopédie byzantine du Xe siècle », ENIM 5, p. 115-117.
  • Dimitri Laboury (2010), Akhénaton, Paris : Pygmalion.