Les Black Seminoles, l’odyssée oubliée des guerriers de la Liberté

par Mathieu N'DIAYE

Découvrez l’histoire des Black Seminoles, un groupe afro-indigène méconnu ayant combattu pour la liberté et survécu à l’oppression à travers une odyssée unique.

Dans les méandres de l’histoire américaine, certains récits se sont vus éclipsés par les récits dominants. Parmi eux, celui des Black Seminoles, un groupe de descendants africains et autochtones, demeure une saga méconnue mais essentielle. Leur quête de liberté, leur détermination face à l’oppression et leur combat acharné pour préserver leur indépendance forment une histoire d’une puissance rare, un témoignage des luttes intersectionnelles pour la survie et la dignité.

Naissance d’un refuge

Lithographies des événements de la guerre des Semonoles en Floride en 1835. Publiées par T.F. Gray and James of Charleston, S.C., en 1837.

Au tournant du XVIIe siècle, les premiers indices de ce qui deviendrait une communauté Black Seminole émergent dans les marécages de la Floride espagnole. Fuyant les chaînes de la Caroline du Sud et de la Géorgie, des esclaves africains trouvèrent refuge au sein des territoires autochtones de Floride. Les Espagnols, opposés à l’esclavage pratiqué par les colonies britanniques, leur offrirent asile, terre et parfois armes, dans l’espoir qu’ils défendent leurs frontières contre les incursions coloniales.

Ces communautés florissantes, composées de Noirs marrons et d’autochtones séminoles, se forgèrent un mode de vie unique. Leurs villages, souvent isolés dans les marécages imprenables des Everglades, devinrent des bastions d’autonomie. La culture séminole et africaine s’entremêla : les Noirs adoptèrent les vêtements et traditions autochtones, tandis que les Séminoles incorporèrent les rythmes, les récits et l’agriculture africaine à leur propre culture.

L’ombre de l’oppression : Les guerres séminoles

John Horse, alias Gopher John, gravure publiée dans Joshua Reed Giddings, The exiles of Florida, or, The crimes committed by our government against the Maroons : who fled from South Carolina and other slave states, seeking protection under Spanish law, Columbus, Ohio : Follett, Foster and Co, 1858. OCLC 3529923

Si la Floride espagnole constituait un refuge pour les Black Seminoles, leur existence attira vite l’attention des puissances esclavagistes voisines. Les plantations de Géorgie et des Carolines, voyant en ces enclaves de liberté une menace à l’ordre esclavagiste, intensifièrent leurs incursions armées. Lorsque l’Espagne céda la Floride aux États-Unis en 1821, la tension culmina.

En 1830, sous l’administration d’Andrew Jackson, l’Indian Removal Act fut adoptée. Cette législation visait à déplacer les tribus autochtones de l’est du Mississippi vers des territoires de l’Ouest. Mais pour les Black Seminoles, cette politique signifiait une menace existentielle : être déportés impliquait un retour à l’esclavage. C’est ainsi qu’éclata la Seconde Guerre séminole (1835-1842), l’un des conflits les plus coûteux de l’histoire des États-Unis avant la guerre du Vietnam.

Aux côtés des Séminoles, les Black Seminoles menèrent une guérilla féroce contre les troupes américaines. Sous la direction de leaders légendaires comme John Horse, ils utilisèrent leur connaissance des marécages pour tendre des embuscades et résister aux forces fédérales. Leur détermination, alimentée par la menace constante de l’asservissement, fit dire au général américain Thomas Jesup :

« Ce n’est pas une guerre contre les Indiens. C’est une guerre contre les Nègres. »

Trahison et exode, le long chemin vers l’Ouest

Chef Coacoochee ou Cowacoochee alias Wild Cat

Malgré leur courage, la coalition séminole fut progressivement submergée par la puissance militaire américaine. Les traités signés sous la contrainte promirent aux Black Seminoles la liberté s’ils acceptaient de se rendre et de migrer avec les Séminoles en territoire indien (actuel Oklahoma). Mais une fois sur place, les promesses s’effondrèrent. L’émancipation leur fut retirée, et ils furent de nouveau menacés d’asservissement par les colons esclavagistes.

Refusant de vivre sous la domination américaine, John Horse et le chef séminole Wild Cat menèrent en 1850 un exode vers le Mexique. Après un périple de six mois à travers des territoires hostiles, ils trouvèrent refuge dans l’État de Coahuila, où le gouvernement mexicain leur offrit des terres en échange de la défense de la frontière contre les raids comanches et apaches. Là, les Black Seminoles établirent une communauté prospère, appelée El Nacimiento, marquant un nouveau chapitre de leur lutte pour la liberté.

Les Black Seminoles et l’armée américaine

Détachement de scouts séminoles noirs vers 1885. Domaine public

L’histoire des Black Seminoles ne s’arrêta pas à leur installation au Mexique. Dans les années 1870, les États-Unis, en quête de soldats pour sécuriser leur frontière sud, firent appel aux Black Seminoles, les recrutant comme éclaireurs militaires. Ces Seminole Negro Indian Scouts, connus pour leur courage et leur expertise, participèrent à plusieurs campagnes contre les tribus hostiles. Leur contribution fut si remarquable que plusieurs d’entre eux reçurent la Médaille d’Honneur, la plus haute distinction militaire américaine.

Cependant, leur service n’atténua pas les discriminations dont ils étaient victimes. Après leur démobilisation, nombre d’entre eux furent laissés sans ressources, trahis par les promesses non tenues du gouvernement américain. Beaucoup retournèrent au Mexique, où leurs descendants vivent encore aujourd’hui, préservant un héritage puissant mais méconnu.

Un héritage oublié, mais indomptable

L’histoire des Black Seminoles illustre les complexités des luttes pour la liberté dans une Amérique marquée par la violence de l’esclavage et du colonialisme. Ils furent à la fois des résistants, des négociateurs, et des bâtisseurs de communautés. Leur héritage se retrouve dans les récits de leur diaspora : des descendants vivant à Brackettville, Texas, aux communautés de Gullah-Geechee des Carolines, jusqu’à El Nacimiento au Mexique.

Mais leur mémoire a été sciemment effacée des manuels d’histoire. Leur combat, qui inclut la plus grande révolte d’esclaves de l’histoire des États-Unis et des guerres coûteuses contre les forces fédérales, n’est qu’un chapitre oublié dans une nation peu encline à célébrer les résistances collectives des Noirs et des autochtones.

Pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui ?

Les récits des Black Seminoles ne sont pas seulement une exploration du passé ; ils éclairent les luttes contemporaines pour la justice raciale et la reconnaissance culturelle. Leur histoire révèle la force de la solidarité entre communautés opprimées, l’importance de la résistance collective, et les dangers de la trahison institutionnelle.

Elle invite également à reconsidérer les notions de nationalité et d’appartenance. Les Black Seminoles, par leurs migrations à travers les frontières coloniales, montrent que la quête de liberté transcende les limites géographiques. Leur histoire nous pousse à interroger la manière dont les récits officiels omettent ou marginalisent des voix essentielles pour construire une mémoire collective honnête et inclusive.

Les voix de l’histoire

Les Black Seminoles furent bien plus que des fugitifs ou des combattants. Ils furent des architectes d’une liberté arrachée à un système déterminé à les réduire au silence. Leur histoire, bien que négligée, résonne encore aujourd’hui, nous rappelant que même dans les contextes les plus oppressifs, il y a des voix qui refusent de s’éteindre.

En les célébrant, nous rendons hommage non seulement à leur courage, mais aussi à leur vision : celle d’un monde où la dignité humaine est non négociable. Leurs descendants, qu’ils soient au Texas, en Floride ou au Mexique, portent cet héritage comme un flambeau, illuminant les ombres d’un passé souvent effacé.